Les Justes d'Algérie
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Le psychiatre d'El-Bayadh (ex Geryville)

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Message  Admin Lun 17 Nov - 22:50

Evocation :

Le psychiatre d'El-Bayadh
par Chikh Achrati*

Il y a eu un fait, un tout petit événement survenu à El-Bayadh fin octobre, qui a été noyé dans la routine coutumière des festivités de novembre et les crues qui ont sinistré quelques communes de la wilaya.

Ce fait est le séjour en catimini d'un couple de Français. Il s'agit du Dr Jacquey, psychiatre, et de son épouse. Visite de nostalgie et de pèlerinage, où l'ancien infirmier militaire a renoué avec des lieux et des noms : des connaissances d'il y a un demi-siècle.



Xavier Jacquey était connu depuis plus d'un an chez les jeunes de l'Association Culture et Tourisme d'Arbaouat (à 100km au sud-ouest d'El-Bayadh), car la Ligue des Droits de l'Homme de Toulon, France,* avait publié des lettres qu'il avait envoyées à ses parents depuis Arbaouat ; Arbaouat où il avait atterri venant de Kef Lahmar.

En 1959 donc, le jeune Jacquey arrive dans le secteur de Géryville, où l'ALN est très forte (voir encadré). Il est affecté à Kef Lahmar, à 45 km de Géryville, comme infirmier pour «soigner» les 4.500 nomades habitant quelques 650 tentes, regroupées autour d'un bordj dans le cadre de la structuration-encadrement de la population. Il s'indigne des conditions inhumaines des habitants, écrit à ses parents qu'il meure quatre enfants par jour, de faim, de maladie et de froid. Pour leur éviter la «corvée de bois», il soigne les prisonniers torturés dans le poste. Il ameute sa hiérarchie médicale et ses camarades. Vingt d'entre eux, appelés du contingent, protestent par écrit auprès de leur commandant contre la torture et les viols.

Ses lettres à ses parents, Xavier Jacquey, devenu psychiatre, les a retrouvées soigneusement rangées à la mort de son père en 2000 ; «lettres-journal» où il parle de son quotidien avec les conditions précaires des nomades parqués autour du bordj, les exactions des militaires et aussi ses démêlés avec ses supérieurs. En avril 59, il est muté disciplinairement vers le sud, à Arbaouat, à 15 km d'El-Abiodh Sid Cheikh, - région connue à l'époque par ses attaques répétées -, sous les ordres du lieutenant qui l'a publiquement menacé d'une « balle perdue ». Sauf que le «Mektoub» a joué pour lui. Il est catholique pratiquant, et les religieux d'El-Abiodh Sid Cheikh, les Pères Blancs de Géryville, son aumônier militaire ainsi que l'évêque Mgr Mercier l'ont mis sous leur protection morale.

Ces lettres-journal présentent un témoignage «à chaud» d'une guerre où la torture est banalisée, où les blessés, si personne ne les protège, sont achevés, où des viols peuvent être couverts par l'autorité militaire, où le rationnement alimentaire des civils est réduit plus qu'au minimum.

Xavier Jacquey écrit à son père le 16 juin 59 : «Mon vieux papa, décidément je suis assez écoeuré par ce que je vois depuis mon arrivée en Afrique. Vrai, pas joli, joli. Actuellement, il y a un gars qui est en train de gueuler, les paras l'«interrogent». Bientôt 48 h qu'ils sont sous de la tôle sans boire ni manger. J'ai demandé ce matin au chef de poste qui s'occupait de leur graille. Il m'a répondu qu'ils étaient encore à la diète. Et lui n'y peut rien, nous sommes sous les ordres d'un commandant parachutiste ! ».

Le confondant avec un autre infirmier qui épargna un parent blessé dans les environs d'Arbaouat en le laissant délibérément vivant sur le champ de bataille et dans l'espoir de faire plaisir à ce parent, Haj Khlifa, qui ne se rappelait que des larmes de l'infirmier militaire lorsqu'il lui avait pris le pouls, j'ai pris contact avec le Dr Jacquey.

Je l'ai trouvé dans une ignorance quasi totale de ce qui avait changé depuis. Mais apprenant qu'il faisait partie d'un cercle d'intellectuels militant pour le rapprochement des deux rives, prêts à la réconciliation dans la repentance et le pardon, loin, très loin des hagiographes du colonialisme, je l'ai invité avec son épouse à revoir ses campements.

C'est ainsi qu'il a pu faire le voyage avec Marie-Jo son épouse, et trouver les vestiges de ses deux infirmeries, à Kef Lahmar et à Arbaouat. À Arbaouat où un sourd muet, âgé alors de 10 ans, et lui ont tous les deux sauté de joie en se reconnaissant après 50 ans. Cet orphelin dont le grand père avait refusé le placement (arrangé par l'infirmier Jacquey) dans une école spécialisée à Oran, a maintenant foyer, famille et situation. Le Dr Jacquey a aussi retrouvé Maamar, l'un des quatre prisonniers affamés dans la soute à munitions dont il avait parlée à ses parents. Il a été désolé de l'Alzheimer de Bachir, le moujahid connu chez les parents Jacquey pour avoir simulé la folie après son premier tabassage, folie qu'après l'avoir soigné, l'infirmier, et profitant de l'absence de tout médecin au village, certifia pour le soustraire à de nouveaux interrogatoires.

Le passage du couple Jacquey à Kef Lahmar et à Arbaouat a coïncidé avec les crues qu'a connues la wilaya, mais les routes coupées et les sinistrés des deux communes n'ont pas empêché l'émerveillement du Docteur ; il m'a plusieurs fois dit comme son émotion était grande en voyant la bonne santé des bambins, leur habillement chaud et leur évidente joie de vivre ; alors qu'il les avait laissés, en 59-60, pour certains pieds nus dans la neige, les yeux abîmés par le trachome, en proie à la faim et aux épidémies ; tout content de lui d'avoir pu ramener leur mortalité à un décès tous les deux jours... une performance !

Il n'a retrouvé de son infirmerie à Kef Lahmar que les deux marches et le parterre cimenté ; mais il était tout heureux d'apprendre qu'il y a aujourd'hui deux médecins au centre de santé et qu'une polyclinique est en construction.

A Arbaouat, face à la tour de guet, - en rencontrant le médecin et les infirmiers du bourg, il l'a constaté sans regret -, son infirmerie est démolie et avec elle, tout le camp qui a laissé place à des îlots d'habitations électrifiées!... Qui aurait parié il y a cinquante ans que les tentes en poil de chameau se transformeraient en maisons branchées sur le gaz naturel ?!

Une petite semaine à El-Bayadh, (dont deux nuits à El-Abiodh Sid Cheikh pour cause de crue), ne s'aurait suffire pour le couple Jacquey de voir tout ce que recèle la région de trésors touristiques; mais ce voyage n'était pas pour le tourisme mais pour l'évocation, le pèlerinage et surtout pour s'assurer que les engagements et les prises de positions du jeune infirmier, n'étaient pas veines. Ainsi, il réembarque à Oran résolu à s'engager d'avantage dans le cercle des «Hommes-passerelles» ; ceux que l'Histoire a conforté dans leur choix et engagement.

Dans la poche du Dr Jacquey il y avait, entre autres, un «avis de recherche», qu'un moujahid, polytraumatisé par une mine, souhaite remercier un autre juste, le légionnaire qui l'a sauvé de ses tortionnaires du 2è Bureau, à Aïn Séfra, fin 60-début 61 ; et dont il ne retient que le nom prononcé à sa manière : le capitaine-médecin Troupe, ou Traupe, ou Traube ou Troube.

--------------------------------------------------------------------------------
*Médecin

Source :
Journal " Le Quotidien d'Oran "
Lundi 17/11/2008
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Message  Invité Mar 18 Nov - 7:21

Ce témoignage -car c' est bien un témoignage- devrait rappeler aux anciens combattants d' Algérie et à tous ceux qui s' intéressent, ou devraient s' intéresser à cette période qu' ils ne doivent guère compter sur les médias français pour les faire connaître.
Quand aux médias algériens, font-ils toujours ce qu' il faudrait pour recueillir de tels témoignages?
Ancien combattant d' Algérie, retourné là-bas, seul, en 2004 puis, en 2006, en compagnie de douze personnes dont un maire, devant les rares articles, sur ce deuxième séjour, (deux à ma connaissance) de la presse algérienne, je ne le pense pas. Et les médias français n' ont pas fait mieux. Sans un article d' un correspondant local d' un quotidien régional (Le Dauphiné Libéré) ce deuxième séjour aurait été complétement ignoré des français.
Une association locale créée au retour de mon premier séjour (plus de quarante ans, après le tout premier) popularisa, de son mieux, ces deux séjours; elle organisa, avec le soutien et la participation active de la commune (Sassenage Isère), le séjour, en 2007, de six personnes venues de la ville qui nous avait accueilli en 2006.
Depuis, cette association à été dissoute, car devenue ingérable du fait des trops grandes différences d' opinions de ses dirigeants sur la façon d' entretenir une relation sérieuse avec l' Algérie.
La relation établie lors de mon premier retour en Algérie, continue avec le blog "Coeurs ouverts France Algérie".
Bien amicalement à tous les amis du site "Les Justes d' Algérie". Georges Londiche.

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Message  Admin Mar 18 Nov - 11:11

Bonjour Londiche

Il y a toi et ton blog;
Il y a nous et ce site;
Il doit certainement y avoir beaucoup d'autres pour qu'ensemble on fasse que soit rendu à César ce qui revient à César.

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