Annie STEINER , condamnée à la prison pour l'Algérie
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Annie STEINER , condamnée à la prison pour l'Algérie
Annie STEINER ,
condamnée à la prison pour l'Algérie
Sources :
http://www.elwatan.com/La-revolutionnaire-est-encore
Edition du 17 avril 2008
Annie Steiner-Moudjahida, ancien membre du réseau FLN d’Alger (Zone autonome)
La révolutionnaire est (encore) révoltée !
« Il faut savoir supporter les injustices jusqu’au moment où on peut en commettre soi-même. »
Les gens vous pardonnent quelquefois le bien que vous leur avez fait, mais rarement le mal qu’ils vous ont fait. La liberté est un mot qui a fait le tour du monde et n’en est jamais revenu
Ecouter Annie parler de sa personne relève de l’exploit ! Il aura fallu de la patience et l’intervention complice de Sid Ali et de Fadila de la librairie Mille feuilles, où elle a ses habitudes, pour que la militante de toujours consente enfin à accepter cet entretien. C’est que cette femme d’une modestie qui confine à l’effacement aime parler beaucoup plus des autres que de sa propre personne. « Il y a tellement de gens qui ont fait mille fois plus que moi et qui ont souffert le martyre que je trouve indécent qu’on parle de ma petite personne », annonce-t-elle d’entrée. La regrettée militante Zahia Taghlit avait témoigné : « L’apport d’Annie à la révolution a été discret mais efficace. C’est une authentique révolutionnaire ». « Je suis du côté des humbles, c’est important d’avoir cette position », affirme Annie pour commencer la conversation. Et puis de bifurquer sur un autre terrain, celui du foot. Dans la grande équipe de foot du Brésil, raconte-t-elle, il y avait Pelé et Garincha. Ma préférence va à ce dernier qui vient des miséreuses favelas. Ce joueur, diminué physiquement, est resté lui-même ; il n’a pas renié ses origines. Il n’a jamais oublié d’où il venait. Il a commencé dans la misère et a terminé dans le dénuement. Le roi Pelé, quant à lui, a su gérer sa carrière.
Le paradis, c’est les autres
Cheveux blancs coupés courts, silhouette avenante, elle a l’air d’une jeune grand-mère à la fois active et sereine. Parler d’elle ? En novembre dernier, elle s’est exprimée sur Canal Algérie, après 22 ans de silence : « J’ai dit que j’étais venue parler des inconnus. C’est grâce à eux qu’il y a eu la victoire. Franchement, je commence à être très agacée par ce qu’on appelle ‘’le culte de la personnalité’’. Ce sont toujours les mêmes qui sont mis en avant et qui ne parlent pas ou très peu des autres, des anonymes, ceux qui sont allés au charbon, mais qui sont restés dans l’ombre. On n’est rien sans les autres. C’est une longue chaîne. Ce que je vois m’irrite et m’attriste. C’est le contraire de l’Histoire. » Militante infatigable de la liberté, Annie a vu le jour le 7 février 1928 à Marengo (Hadjout). Son père, Fiorio Marcel, né au début du siècle dernier à Tipaza, est issu d’une famille originaire de Florence en Italie. Il travaillait dans les hôpitaux. Lors de l’épidémie de typhus, il a été dépêché à Sidi Bel Abbès comme directeur de l’hôpital pour y mettre un peu d’ordre. Qu’est-ce qui a donc poussé les Fiorio, famille prospère, à quitter le symbole de la renaissance pour s’installer en Algérie ? Nul ne le sait. « Mon père est mort à 41 ans, emporté par une crise cardiaque. Quant à ma mère, elle était enseignante, institutrice comme sa sœur et leur mère. Ma grand-mère, Virginie Malavial-Truel, était institutrice à Borely Lasapie (El Omaria) village au-dessus de Médéa, où elle exerçait selon le système de la classe unique. J’ai rompu la tradition. Mon grand-père, né à Theniet El Had en 1870, est enterré à Palestro. » Annie dut bourlinguer très jeune au gré des affectations de son père. A Boufarik, elle y effectua l’école primaire et à Sidi Bel Abbès c’est l’EPS. « De là, je suis allée à Blida, une ville qui a beaucoup compté pour moi. J’y ai fait mes études secondaires au lycée Duveyrier (Ibn Rochd), un excellent établissement qui a vu défiler des chouhada comme Ali Boumendjel, Abane Ramdane et des responsables comme Benyoucef Benkheda, M’hamed Yazid, Sadek Hadjeres… A l’origine, ce lycée était réservé aux garçons, mais après le débarquement des Américains, qui ont occupé le collège des filles, on a dû jumeler filles et garçons après la fermeture de l’internat pendant la Seconde Guerre mondiale. » D’une extrême pudeur, cette grande militante, citoyenne du monde, défenseur de la liberté, possède l’aura de celles qui ont su se réinventer sans se renier.
Citoyenne du monde
A 80 ans, elle garde le même regard, les mêmes convictions, les mêmes rêves. « Je suis fille unique. J’ai vécu dans un milieu aisé. Je ne manquais de rien. J’aurais pu être très gâtée, mais mes parents m’ont transmis certaines valeurs. Mon père, libre penseur, m’a inculqué les valeurs du travail, de l’honnêteté et de la rigueur. Ma mère, qui m’a élevée et ne s’est pas remariée, venait d’une région de France très catholique et m’a donné une éducation chrétienne. Mes parents, au demeurant modestes, étaient dignes et ne fréquentaient pas la haute société. Ils étaient sensibles aux souffrances humaines. » Elle en possède la fièvre inventive et le mépris du danger. « Quant à moi, je ne militais nulle part, ce qui m’a beaucoup servi. Je discutais avec les vieux militants. Je les écoutais surtout et j’avais compris déjà qu’on doit presque tout aux autres. » Rebelle, elle voulait révolutionner le monde. Un monde bien triste, celui qu’elle a côtoyé dans les centres sociaux d’Alger, où elle exerçait et où le dénuement le disputait à la misère et l’exclusion. Avec son éducation et son esprit combatif, elle se montre chaleureuse et distante à la fois, gardant quelque chose d’inaccessible : « Ce sont des choses qu’il faudrait écrire un jour », reconnaît-elle, prévenante. Ses mots bien choisis arrivent à percer les formules cadenassées. Dans son discours, on perçoit en filigrane sa croyance au groupe et au monde. Lorsque la lutte de libération éclate en 1954, elle « se sent mûre ». Elle est licenciée en droit. Avec son mari, le Suisse Rudolf Steiner, architecte, elle a été amenée à connaître des gens de ce milieu à Paris, où le couple a séjourné. Son époux était lié aux architectes du bureau de Le Corbusier. Dans la capitale française, ils sont restés deux ans. Retour à Alger fin 1953, où elle retrouve ses amis Jean Senac, Roland Simounet, architecte originaire de Aïn Benian, et Jean de Baisonseul, responsable du service d’urbanisme de la ville d’Alger, arrêté, et incarcéré à Barberousse en 1956. « Il y est resté très digne. Il a sauvé beaucoup de choses à Alger qu’on est en train de détruire. C’était un peintre et un sculpteur qui avait fait visiter La Casbah à Le Corbusier (Corbu pour les intimes). On dit que Le Corbusier, grand admirateur de La Casbah et du M’zab (Ghardaïa) y avait puisé des idées pour son ‘’modulor’’. » Bien avant le déclenchement de la guerre, Annie avait pris conscience de la situation désastreuse des « indigènes ». Elle avait choisi son camp. Elle était dans le réseau FLN clandestin, dans lequel elle a été engagée en 1955 après avoir cherché un contact dès la fin de 1954. « J’ai pu faire beaucoup de choses, tout simplement parce qu’étant d’origine européenne, je n’éveillais pas les soupçons et je n’étais pas fichée par la police. » Quel était le regard porté sur elle par ses amis pieds-noirs, elle qui avait pris le parti de lutter pour l’indépendance de l’Algérie. « Personne ne savait ce que je faisais. Leur surprise a dû être grande lorsqu’ils l’ont appris dans le journal, en page une et en gros titre. » Arrêtée en octobre 1956, elle est condamnée à 5 ans de réclusion par le tribunal militaire d’Alger, lors d’un procès qui a duré 3 jours et appelé à tort « Le procès des médecins ». Pourquoi cette expression ? Voulait-on associer intentionnellement le mot « médecin » à une des activités du groupe concernant un laboratoire d’explosifs ? On ne sait pas. Dans ce procès, où les accusés avaient des origines politique et ethnique variées, se trouvaient A. Bensadok (vieux militant du PPA puis du FLN), les 3 frères Timsit (médecins) et Georgio Arbib (ingénieur) anciens militants du PPA, Djaballah (jeune étudiant chimiste), E. Neplaz (instituteur de Constantine), etc. Beaucoup, qui étaient clandestins, ont été jugés par contumace, parmi lesquels Hassiba Ben Bouali, chahida à 18 ans, morte héroïquement avec Ali la Pointe, petit Omar et M. Bouhamidi. Le lendemain du procès, elle écrivait un poème qui sera souvent lu à la Chaîne 3 par Djamel Amrani qui savait si bien lire la poésie : « Cette femme n’est pas une mère, a dit Monsieur le procureur. Cette femme n’est pas une mère, ont répété les cervelles dociles. Vous avez le jugement prompt. Soyez loué par les cervelles dociles. Vous avez le goût de la justice prompte. Soyez béni par les cervelles dociles. Sachez Monsieur le procureur que rien n’est aussi simple. Cette femme était mère et par le don de la vie deux fois renouvelé… (allusion ici à Edith et Ida qui, en 1957, avaient 4 et 2 ans.) Annie a fait 6 prisons : Barberousse, Maison-Carrée, Blida par mesure disciplinaire puis transfert à la Petite Roquette à Paris, à la vieille prison de Rennes et enfin à la maison d’arrêt de Pau. Sa petite famille accuse le coup. Sa mère en souffre beaucoup, les enfants aussi. Après sa sortie de prison en 1961, elle ne pouvait revenir en Algérie. Elle se rend en Suisse, où la garde de ses deux filles Edith et Ida lui est retirée. Le divorce est consommé.
En 1962, pas le moindre sou
En 1962, elle rentre à Alger « avec pour seul bagage un petit sac. Je n’avais pas le sou. J’étais seule, ma mère et sa famille étaient parties en France. Il fallait repartir de zéro. Heureusement, j’étais recueillie par deux sœurs de prison. Deux moudjahidate. Safia, puis Meriem, dont la famille m’a accueillie pendant plus de 2 mois en me traitant comme sa propre fille. C’est inoubliable. » Elle confie parfois sa tristesse. Annie a horreur de ceux qui assument mal leur petite dose de mégalomanie, se croyant dépositaires du destin supérieur. Elle en rit. Un peu jaune. En 1962, avec la création du secrétariat général du gouvernement, dont le premier secrétaire était Mohamed Bedjaoui, un excellent juriste, elle y est engagée, parce qu’elle présentait le profil. Elle y restera 30 ans, assurant avec d’autres cadres la tâche d’organiser la nouvelle administration. « C’était passionnant et très prenant », se souvient-elle. Aujourd’hui, elle a la satisfaction d’avoir contribué à la formation de cadres de la Fonction publique avec cette particularité d’avoir été la première femme nommée directeur d’administration centrale par le défunt président Boumediène. Auparavant, en 1962, elle avait été nommée chargée de mission. Son discours est sincère quand elle se présente en déprimée du contemporain. Parfois même, elle donne l’impression de vouloir en découdre avec les tracas qui empoisonnent la vie de ses concitoyens. 50 ans après, elle est toujours là, femme de conviction, d’action et de réflexion, traquant les injustices. « J’ai participé à toutes les luttes, depuis la grande manifestation du 8 mars 1965, organisée par les moudjahidate, qui a vu défiler des milliers de femmes dans les rues d’Alger. Jean Senac ? Nous avions 20 ans et c’était une autre vision. C’était une grande ouverture sur le monde et sur l’Algérie. On se voyait à la libraire Charlot, à la rue Charras. » Jean m’a dédié en 1957 son petit livre Le Soleil sous les armes. Il fallait avoir du courage pour le faire, en pleine bataille d’Alger, à des gens qui étaient en prison. Anna Greki ? « Elle aussi a été emprisonnée à Barberousse. Elle est morte trop tôt. Je l’ai revue après l’indépendance. Quels beaux poèmes dans Algérie capitale Alger. J’ai demandé une réédition, mais je n’ai rien vu venir. Bouabdallah et son film Barberousse, mes sœurs, consacré au combat des femmes. Un bel hymne, je l’en remercie de tout cœur. Le film a plu, parce qu’il était spontané et sincère. » Son sentiment sur l’Algérie actuelle : « Je suis révoltée comme en 1954. Comment en est-on arrivé là ? Le système se perpétue. C’est le temps de l’imposture, sous toutes ses formes. Je fais ce que je peux et je reste révoltée. »
Parcours
Annie Fiorio-Steiner est née en 1928 à Marengo (actuellement Hadjout). Elle a fait ses études à Boufarik et Blida et obtenu sa licence en droit à la Faculté d’Alger en 1951. Elle travaille dans les services sociaux de la ville d’Alger, où elle s’imprègne des dures conditions de vie des Algériens. Elle prendra conscience du grand écart et des disparités qui existent entre l’occupant et les indigènes. Jeune, elle commencera à militer et prendra carrément fait et cause pour l’indépendance de l’Algérie. Elle fait partie du réseau clandestin FLN de la capitale. Arrêtée en 1957, elle est condamnée à 5 ans de réclusion criminelle. Elle sera libérée en 1961. Au lendemain de l’indépendance, elle occupe un poste important au secrétariat général du gouvernement. Poste qu’elle occupera durant 30 ans. Militante convaincue, Annie n’a jamais quitté l’Algérie, où elle réside toujours.
Par Hamid Tahri
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Ryad
condamnée à la prison pour l'Algérie
Sources :
http://www.elwatan.com/La-revolutionnaire-est-encore
Edition du 17 avril 2008
Annie Steiner-Moudjahida, ancien membre du réseau FLN d’Alger (Zone autonome)
La révolutionnaire est (encore) révoltée !
« Il faut savoir supporter les injustices jusqu’au moment où on peut en commettre soi-même. »
Les gens vous pardonnent quelquefois le bien que vous leur avez fait, mais rarement le mal qu’ils vous ont fait. La liberté est un mot qui a fait le tour du monde et n’en est jamais revenu
Ecouter Annie parler de sa personne relève de l’exploit ! Il aura fallu de la patience et l’intervention complice de Sid Ali et de Fadila de la librairie Mille feuilles, où elle a ses habitudes, pour que la militante de toujours consente enfin à accepter cet entretien. C’est que cette femme d’une modestie qui confine à l’effacement aime parler beaucoup plus des autres que de sa propre personne. « Il y a tellement de gens qui ont fait mille fois plus que moi et qui ont souffert le martyre que je trouve indécent qu’on parle de ma petite personne », annonce-t-elle d’entrée. La regrettée militante Zahia Taghlit avait témoigné : « L’apport d’Annie à la révolution a été discret mais efficace. C’est une authentique révolutionnaire ». « Je suis du côté des humbles, c’est important d’avoir cette position », affirme Annie pour commencer la conversation. Et puis de bifurquer sur un autre terrain, celui du foot. Dans la grande équipe de foot du Brésil, raconte-t-elle, il y avait Pelé et Garincha. Ma préférence va à ce dernier qui vient des miséreuses favelas. Ce joueur, diminué physiquement, est resté lui-même ; il n’a pas renié ses origines. Il n’a jamais oublié d’où il venait. Il a commencé dans la misère et a terminé dans le dénuement. Le roi Pelé, quant à lui, a su gérer sa carrière.
Le paradis, c’est les autres
Cheveux blancs coupés courts, silhouette avenante, elle a l’air d’une jeune grand-mère à la fois active et sereine. Parler d’elle ? En novembre dernier, elle s’est exprimée sur Canal Algérie, après 22 ans de silence : « J’ai dit que j’étais venue parler des inconnus. C’est grâce à eux qu’il y a eu la victoire. Franchement, je commence à être très agacée par ce qu’on appelle ‘’le culte de la personnalité’’. Ce sont toujours les mêmes qui sont mis en avant et qui ne parlent pas ou très peu des autres, des anonymes, ceux qui sont allés au charbon, mais qui sont restés dans l’ombre. On n’est rien sans les autres. C’est une longue chaîne. Ce que je vois m’irrite et m’attriste. C’est le contraire de l’Histoire. » Militante infatigable de la liberté, Annie a vu le jour le 7 février 1928 à Marengo (Hadjout). Son père, Fiorio Marcel, né au début du siècle dernier à Tipaza, est issu d’une famille originaire de Florence en Italie. Il travaillait dans les hôpitaux. Lors de l’épidémie de typhus, il a été dépêché à Sidi Bel Abbès comme directeur de l’hôpital pour y mettre un peu d’ordre. Qu’est-ce qui a donc poussé les Fiorio, famille prospère, à quitter le symbole de la renaissance pour s’installer en Algérie ? Nul ne le sait. « Mon père est mort à 41 ans, emporté par une crise cardiaque. Quant à ma mère, elle était enseignante, institutrice comme sa sœur et leur mère. Ma grand-mère, Virginie Malavial-Truel, était institutrice à Borely Lasapie (El Omaria) village au-dessus de Médéa, où elle exerçait selon le système de la classe unique. J’ai rompu la tradition. Mon grand-père, né à Theniet El Had en 1870, est enterré à Palestro. » Annie dut bourlinguer très jeune au gré des affectations de son père. A Boufarik, elle y effectua l’école primaire et à Sidi Bel Abbès c’est l’EPS. « De là, je suis allée à Blida, une ville qui a beaucoup compté pour moi. J’y ai fait mes études secondaires au lycée Duveyrier (Ibn Rochd), un excellent établissement qui a vu défiler des chouhada comme Ali Boumendjel, Abane Ramdane et des responsables comme Benyoucef Benkheda, M’hamed Yazid, Sadek Hadjeres… A l’origine, ce lycée était réservé aux garçons, mais après le débarquement des Américains, qui ont occupé le collège des filles, on a dû jumeler filles et garçons après la fermeture de l’internat pendant la Seconde Guerre mondiale. » D’une extrême pudeur, cette grande militante, citoyenne du monde, défenseur de la liberté, possède l’aura de celles qui ont su se réinventer sans se renier.
Citoyenne du monde
A 80 ans, elle garde le même regard, les mêmes convictions, les mêmes rêves. « Je suis fille unique. J’ai vécu dans un milieu aisé. Je ne manquais de rien. J’aurais pu être très gâtée, mais mes parents m’ont transmis certaines valeurs. Mon père, libre penseur, m’a inculqué les valeurs du travail, de l’honnêteté et de la rigueur. Ma mère, qui m’a élevée et ne s’est pas remariée, venait d’une région de France très catholique et m’a donné une éducation chrétienne. Mes parents, au demeurant modestes, étaient dignes et ne fréquentaient pas la haute société. Ils étaient sensibles aux souffrances humaines. » Elle en possède la fièvre inventive et le mépris du danger. « Quant à moi, je ne militais nulle part, ce qui m’a beaucoup servi. Je discutais avec les vieux militants. Je les écoutais surtout et j’avais compris déjà qu’on doit presque tout aux autres. » Rebelle, elle voulait révolutionner le monde. Un monde bien triste, celui qu’elle a côtoyé dans les centres sociaux d’Alger, où elle exerçait et où le dénuement le disputait à la misère et l’exclusion. Avec son éducation et son esprit combatif, elle se montre chaleureuse et distante à la fois, gardant quelque chose d’inaccessible : « Ce sont des choses qu’il faudrait écrire un jour », reconnaît-elle, prévenante. Ses mots bien choisis arrivent à percer les formules cadenassées. Dans son discours, on perçoit en filigrane sa croyance au groupe et au monde. Lorsque la lutte de libération éclate en 1954, elle « se sent mûre ». Elle est licenciée en droit. Avec son mari, le Suisse Rudolf Steiner, architecte, elle a été amenée à connaître des gens de ce milieu à Paris, où le couple a séjourné. Son époux était lié aux architectes du bureau de Le Corbusier. Dans la capitale française, ils sont restés deux ans. Retour à Alger fin 1953, où elle retrouve ses amis Jean Senac, Roland Simounet, architecte originaire de Aïn Benian, et Jean de Baisonseul, responsable du service d’urbanisme de la ville d’Alger, arrêté, et incarcéré à Barberousse en 1956. « Il y est resté très digne. Il a sauvé beaucoup de choses à Alger qu’on est en train de détruire. C’était un peintre et un sculpteur qui avait fait visiter La Casbah à Le Corbusier (Corbu pour les intimes). On dit que Le Corbusier, grand admirateur de La Casbah et du M’zab (Ghardaïa) y avait puisé des idées pour son ‘’modulor’’. » Bien avant le déclenchement de la guerre, Annie avait pris conscience de la situation désastreuse des « indigènes ». Elle avait choisi son camp. Elle était dans le réseau FLN clandestin, dans lequel elle a été engagée en 1955 après avoir cherché un contact dès la fin de 1954. « J’ai pu faire beaucoup de choses, tout simplement parce qu’étant d’origine européenne, je n’éveillais pas les soupçons et je n’étais pas fichée par la police. » Quel était le regard porté sur elle par ses amis pieds-noirs, elle qui avait pris le parti de lutter pour l’indépendance de l’Algérie. « Personne ne savait ce que je faisais. Leur surprise a dû être grande lorsqu’ils l’ont appris dans le journal, en page une et en gros titre. » Arrêtée en octobre 1956, elle est condamnée à 5 ans de réclusion par le tribunal militaire d’Alger, lors d’un procès qui a duré 3 jours et appelé à tort « Le procès des médecins ». Pourquoi cette expression ? Voulait-on associer intentionnellement le mot « médecin » à une des activités du groupe concernant un laboratoire d’explosifs ? On ne sait pas. Dans ce procès, où les accusés avaient des origines politique et ethnique variées, se trouvaient A. Bensadok (vieux militant du PPA puis du FLN), les 3 frères Timsit (médecins) et Georgio Arbib (ingénieur) anciens militants du PPA, Djaballah (jeune étudiant chimiste), E. Neplaz (instituteur de Constantine), etc. Beaucoup, qui étaient clandestins, ont été jugés par contumace, parmi lesquels Hassiba Ben Bouali, chahida à 18 ans, morte héroïquement avec Ali la Pointe, petit Omar et M. Bouhamidi. Le lendemain du procès, elle écrivait un poème qui sera souvent lu à la Chaîne 3 par Djamel Amrani qui savait si bien lire la poésie : « Cette femme n’est pas une mère, a dit Monsieur le procureur. Cette femme n’est pas une mère, ont répété les cervelles dociles. Vous avez le jugement prompt. Soyez loué par les cervelles dociles. Vous avez le goût de la justice prompte. Soyez béni par les cervelles dociles. Sachez Monsieur le procureur que rien n’est aussi simple. Cette femme était mère et par le don de la vie deux fois renouvelé… (allusion ici à Edith et Ida qui, en 1957, avaient 4 et 2 ans.) Annie a fait 6 prisons : Barberousse, Maison-Carrée, Blida par mesure disciplinaire puis transfert à la Petite Roquette à Paris, à la vieille prison de Rennes et enfin à la maison d’arrêt de Pau. Sa petite famille accuse le coup. Sa mère en souffre beaucoup, les enfants aussi. Après sa sortie de prison en 1961, elle ne pouvait revenir en Algérie. Elle se rend en Suisse, où la garde de ses deux filles Edith et Ida lui est retirée. Le divorce est consommé.
En 1962, pas le moindre sou
En 1962, elle rentre à Alger « avec pour seul bagage un petit sac. Je n’avais pas le sou. J’étais seule, ma mère et sa famille étaient parties en France. Il fallait repartir de zéro. Heureusement, j’étais recueillie par deux sœurs de prison. Deux moudjahidate. Safia, puis Meriem, dont la famille m’a accueillie pendant plus de 2 mois en me traitant comme sa propre fille. C’est inoubliable. » Elle confie parfois sa tristesse. Annie a horreur de ceux qui assument mal leur petite dose de mégalomanie, se croyant dépositaires du destin supérieur. Elle en rit. Un peu jaune. En 1962, avec la création du secrétariat général du gouvernement, dont le premier secrétaire était Mohamed Bedjaoui, un excellent juriste, elle y est engagée, parce qu’elle présentait le profil. Elle y restera 30 ans, assurant avec d’autres cadres la tâche d’organiser la nouvelle administration. « C’était passionnant et très prenant », se souvient-elle. Aujourd’hui, elle a la satisfaction d’avoir contribué à la formation de cadres de la Fonction publique avec cette particularité d’avoir été la première femme nommée directeur d’administration centrale par le défunt président Boumediène. Auparavant, en 1962, elle avait été nommée chargée de mission. Son discours est sincère quand elle se présente en déprimée du contemporain. Parfois même, elle donne l’impression de vouloir en découdre avec les tracas qui empoisonnent la vie de ses concitoyens. 50 ans après, elle est toujours là, femme de conviction, d’action et de réflexion, traquant les injustices. « J’ai participé à toutes les luttes, depuis la grande manifestation du 8 mars 1965, organisée par les moudjahidate, qui a vu défiler des milliers de femmes dans les rues d’Alger. Jean Senac ? Nous avions 20 ans et c’était une autre vision. C’était une grande ouverture sur le monde et sur l’Algérie. On se voyait à la libraire Charlot, à la rue Charras. » Jean m’a dédié en 1957 son petit livre Le Soleil sous les armes. Il fallait avoir du courage pour le faire, en pleine bataille d’Alger, à des gens qui étaient en prison. Anna Greki ? « Elle aussi a été emprisonnée à Barberousse. Elle est morte trop tôt. Je l’ai revue après l’indépendance. Quels beaux poèmes dans Algérie capitale Alger. J’ai demandé une réédition, mais je n’ai rien vu venir. Bouabdallah et son film Barberousse, mes sœurs, consacré au combat des femmes. Un bel hymne, je l’en remercie de tout cœur. Le film a plu, parce qu’il était spontané et sincère. » Son sentiment sur l’Algérie actuelle : « Je suis révoltée comme en 1954. Comment en est-on arrivé là ? Le système se perpétue. C’est le temps de l’imposture, sous toutes ses formes. Je fais ce que je peux et je reste révoltée. »
Parcours
Annie Fiorio-Steiner est née en 1928 à Marengo (actuellement Hadjout). Elle a fait ses études à Boufarik et Blida et obtenu sa licence en droit à la Faculté d’Alger en 1951. Elle travaille dans les services sociaux de la ville d’Alger, où elle s’imprègne des dures conditions de vie des Algériens. Elle prendra conscience du grand écart et des disparités qui existent entre l’occupant et les indigènes. Jeune, elle commencera à militer et prendra carrément fait et cause pour l’indépendance de l’Algérie. Elle fait partie du réseau clandestin FLN de la capitale. Arrêtée en 1957, elle est condamnée à 5 ans de réclusion criminelle. Elle sera libérée en 1961. Au lendemain de l’indépendance, elle occupe un poste important au secrétariat général du gouvernement. Poste qu’elle occupera durant 30 ans. Militante convaincue, Annie n’a jamais quitté l’Algérie, où elle réside toujours.
Par Hamid Tahri
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Ryad
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